Témoignage d’Elisabeth Betty Mweya Tol’Ande
La commune de Bumbu est située dans la partie sud de la ville de Kinshasa en République démocratique du Congo. Créée en 1968, Bumbu tire son nom du cours d’eau éponyme. Elle est l’un des nouveaux lieux de peuplement, situé dans la zone des collines au sud de la cité. La commune de Bumbu fait partie du district de la Funa. L’écrivaine congolaise Elisabeth Betty Mweya Tol’Ande, née le 7 juillet 1947, a grandi dans « cette commune que durant les décennies 60 et 70, les gens désignaient par le nom SINALCO, nom à la fois de l’usine et de la boisson sucrée qu’elle produisait avant l’indépendance du Congo SINALCO », explique-t-elle. Avec émotion, elle fait un témoignage sur une « star » de cette commune : L’arbre de SINALCO.
« J’ai grandi dans ce quartier, l’un des nombreux autres que compte la commune de Bumbu, cette commune que durant les décennies 60 et 70, les gens désignaient par le nom SINALCO, nom à la fois de l’usine et de la boisson sucrée qu’elle produisait avant l’indépendance du Congo.
Une partie de l’actuelle Maison communale de Bumbu est le vestige de l’infrastructure de cette usine du passé. Une partie de l’ancienne infrastructure de l’usine SINALCO demeure donc jusqu’à ce jour.
La troupe des jeunes scouts dont je faisais partie, se réunissait souvent en face des décombres de cette usine, à l’ombre d’un gros, très gros arbre aux gigantesques branches dont le feuillage touffu était d’un vert profond.
A mon avis, cet arbre avait été peut-être le témoin des mutations subies au fil du temps par ce coin de Kinshasa, la commune de Bumbu. C’était là que se reposaient les coupeurs de bois, de la paille et des lianes, matériaux qui servaient à la construction des cases. Ces gens y faisaient escale là au retour de la forêt, avant de poursuivre leur trajet jusqu’à l’actuel Wenze ya Bayaka , où ils exposaient ces matériaux pour la vente. A cet endroit, devenu plus tard, le Wenze ya Bayaka, se négociaient les contrats oraux pour la construction ou la réparation des cases.
Ces coupeurs de bois se reposaient donc sous l’ombrage de l’arbre de Sinalco, leurs fardeaux appuyés verticalement contre l’énorme tronc rugueux de cet arbre qui a servi longtemps de repère aux habitants de ce coin de Bumbu, du moins à ses premiers habitants dont leurs enfants qui avaient l’âge de raison, sont devenus depuis 2022, des sexagénaires, des septuagénaires et des octogénaires ; ceux-là, s’identifient donc encore aujourd’hui comme les Ban’a Bumbu Sinalco.
L’arbre de Sinalco leur a donc servi longtemps de repère en les rassurant qu’ils se trouvaient bel et bien chez eux, dans leur milieu. Bien avant que les deux communes voisines de Bumbu et de Makala fussent loties, les autochtones qui y habitaient, aimaient certainement peut-être ce gros arbre. Leur avait-il également servi de repère dans leurs différents mouvements lorsqu’ils allaient et venaient ? Se réunissaient-ils sous son ombre pour leurs palabres ?
Ma mère disait que l’arbre aurait sûrement été le témoin des sentences prononcées à cet endroit et des transactions commerciales d’avant indépendance entre les autochtones entre eux et peut-être avec d’autres ? Mais qui ?
Les autochtones de ce coin, étaient sans doute les Bahumbu et les Téké ainsi que d’autres que j’ignore. Il me faut me documenter à ce sujet.
A entendre ma mère parler de cet arbre de SINALCO, j’ai fini par me convaincre qu’il fut lui aussi, l’arbre, un autochtone parmi les autochtones de jadis et plus tard, un habitant parmi les habitants de la commune de Bumbu. Et pourquoi pas ? Les autres créatures du Bon Dieu n’auraient-elles plus leur droit sur la terre ?
Je suis du même avis que ma mère : l’arbre de Sinalco a été un arbre familier, une présence à laquelle les gens s’étaient habitués, à laquelle nous nous étions habitués. Même si l’usine avait cessé de fonctionner depuis 1959, à la suite des émeutes du 4 janvier 1959, précurseuses des revendications de l’indépendance du Congo, au moins l’arbre qui lui faisait face, était encore là jusqu’au moins au début des années 80 (enfin, je ne sais plus).
Hélas ! Il fut déraciné, l’arbre de Sinalco, le témoin des décennies et pourquoi pas des siècles ? Les humains ont occupé son espace, y ont construit leurs habitations. Mais malgré cela, tous ceux qui l’ont connu, cet arbre, savent reconnaître l’endroit où il trônait. C’est une courbe, en face de la Maison communale juste la partie du bâtiment restée de la fameuse usine de fabrication de la boisson sucrée SINALCO, au croisement des avenues Shaba et Mafuta. Oui, c’est là, juste là. Mais les branches de l’arbre couvraient une très large superficie en haut. C’est à cet endroit-là !
La courbe en forme plus ou moins ovale de la partie du bâtiment abritant l’administration communale de Bumbu qui donne le dos à l’avenue Shaba, qui, elle aussi forme une courbe très sensible, résiste au temps et…continuera sans doute à résister au temps.
Ce paysage demeure et me permet de le contempler de loin, d’éprouver encore un reste du sentiment d’appartenance à cette commune de Bumbu, au quartier où j’ai vécu une grande partie de ma jeunesse même si ce fut à cheval entre les communes de Ngiri-Ngiri et même un peu de Limeté. C’est là, à Bumbu où j’ai conçu et donné naissance à mes enfants.
A cause de mon attachement à cette commune, bien que je n’y habite plus depuis très longtemps, je continue à entretenir la parcelle de ma mère. J’ai grandement peur de perdre cet autre repère, après avoir perdu l’arbre de SINALCO. La peur qu’un jour en m’engageant dans mon ancienne avenue, je ne puisse pas reconnaitre l’endroit où j’avais vécu en famille.
Je ne puis me résoudre à céder à des étrangers la parcelle qui a appartenu à ma mère. Pour rien au monde, je ne perdrais pas nos souvenirs. Il m’arrive d’effectuer une visite là-bas, d’y marcher là où maman marchait, de me l’imaginer en vie, en train de se réchauffer autour du mbabula sur lequel se reposait sa marmite noircie et éraillée dans laquelle elle chauffait l’eau de son bain.
Il m’arrive de me remémorer aussi nos soirées et nuits à cet endroit lorsqu’elle racontait des contes à nos enfants, les miens et ceux de mes sœurs et de mon frère et lorsqu’elle chantait, mimant les personnages, animaux et oiseaux qui pullulaient dans ses contes.
Oh ! Le temps a fui, emportant des êtres chers qui demeurent pourtant vivants ».