Lecture critique de «BELLE et CRUELLE» de Marthe BULAMATARI par Munkulu di Deni
« Belle et cruelle », troisième roman de Marthe Bulamatari a été porté sur les fonts baptismaux le 18 novembre 2022 à Kinshasa, en présence d’un parterre de férus de la culture, de la littérature et des Belles-Lettres. Voici le lecture critique de ce roman telle que faite par l’écrivain congolais Munkulu di Deni.
Présentation de l’ouvrage
Quelle est l’identité exacte de cet enfant ?
Il s’appelle Belle et Cruelle. De genre masculin, puisqu’un roman. De taille format fermé 12cm/20cm, une couverture sur papier couché 250 g double face, et un dos de 8mm où sont repris les noms de l’auteur, le titre de l’ouvrage et la griffe de l’Editeur : MBB Editions ; et du code bar.
Pas de page de garde.
L’imprimatur y est.
Très facile à emporter partout, puisque ne pesant pas grand-chose.
Ce livre est dédié à une sommité littéraire et scientifique de ce pays, en l’occurrence le Professeur-Docteur Bienvenu SENE Mongaba, d’heureuse mémoire. Elle l’appelle son Ndeko et dit de lui : Passé de l’autre côté. Expression que, communément, l’Etat civil appelle mort ou décédé.
L’Epigraphe vient à la page 9 et est signée Yasmina KHADRA, tirée du livre intitulée L’Equation africaine. Ce qui est tout dire.
DU CONTENU
Du récit
De quoi retourne-t-il en fait dans cet ouvrage qui nous fait l’honneur de nous réunir ici ?
Il s’appelle Belle et Cruelle. De genre masculin, puisqu’un roman.
L’histoire est simple. Très simple même. Un Général de corps d’armée, nommé Julius MUSSASSA, Rockman pour les intimes, est chargé d’une mission délicate à l’Est de son pays pour déloger un ennemi qui y sème la mort et la désolation. Il s’éprend d’une inconnue qu’il qualifie de déesse et se perd dans ses délices. Il finit par subir le sort qu’il méritait. Lequel ? Nous le saurons dans la suite du discours. Mais, déjà à ce stade, voici ce que lui-même en dit :
C’est ma faute. Je n’ai pas respecté les consignes que moi-même j’avais données lors des échanges stratégiques de la veille… (Page 106).
En pareilles circonstances, un soldat est tenu à la réserve. Mais moi, j’avais plutôt libéré mes instincts libidineux et en voilà les conséquences. (Page 113).
De la trame
Belle et Cruelle est divisé en 11 parties, de longueurs inégales, marquées par des chiffres romains entourés d’un cercle, sans spécifier si ce sont des chapitres, des sections, des épisodes, des tableaux, ou que sais-je encore.
Intitulé Sabina, le 1 plante le décor : Le personnage principal décrit le cadre de son enfance, principalement comment il été élevé par sa grand-mère suite à la mort précoce de ses parents et est devenu en quelque sorte le fils unique de sa grand’mère qui, elle également, a perdu son mari très tôt, et est restée sans enfants.
Le 2, l’Intruse, parle de sa rencontre improvisée avec une femme mystérieuse nommée Véronika, qui s’est introduite dans sa chambre d’hôtel pour, au départ, on ne sait quoi.
Le 3, Destin tragique, est une sorte de rétrospective, de flash-back. Le narrateur arrête momentanément le cours de son histoire pour partager avec le lecteur des souvenirs d’enfance faits essentiellement de vérités sur la colonisation et l’occupation centenaire de son pays que lui racontait autour du feu son grand-père adoptif, le mari, en secondes noces, de sa grand-mère. On y assiste à une critique acerbe de la colonisation belge.
Le 4, Envahissement, prolonge le III, en ce qu’il continue à faire le procès sans complaisance de la colonisation, cette fois, sous l’aspect de la transplantation sur le territoire nzaïdois de peuplades non autochtones aux mœurs bizarres.
Le 5, Les ressources à d’autres, prend violemment à partie tous ceux qui, comme des vautours, se sont jetés depuis des décennies sur les immenses richesses de Nzaïdi sans contrepartie aucune pour les populations locales.
Le 6, Dix millions de morts, est une mise en cause des Nations Unies, des Grandes Puissances et des multinationales dans l’exploitation sauvage du sol et du sous-sol du pays ;
Le 7, Ruse et manipulation, reprend le fil rompu de la narration. Le personnage principal reprend les choses en mains et nous livre sa propre expérience des multiples tentatives de balkanisation de sa nation, le Nzaïdi ;
Le 8, Compteur remis à zéro, marque un début de prise de conscience de la part des Nzaïdois qui, désormais, sont plus que déterminé à défendre la terre de leurs ancêtres, même au prix du sacrifice suprême ;
A partir du 9, Briser la glace, le Général Julius Moussassa, Commandant et Chef militaire dans une zone de conflits, se souvient brusquement de la mission combien délicate qui lui avait été confiée. Mais pour quel sursaut d’orgueil ?
Le 10, La Jungle, parle des préparatifs de l’assaut final de l’armée nzaïdoise pour bouter l’armée d’occupation hors du territoire national. Mais, dans sa folie amoureuse, le Général va dévoiler à sa dulcinée d’un soir tout le plan mis en place quant à ce. Alertée par l’espionne, l’armée adverse va prendre la contre-offensive ;
C’est le 11, Trop tard, qui met définitivement fin à l’aventure amoureuse du Général Rockman. Car, dit-on, le prix de la trahison, c’est la mort.
Comme on peut le voir, la trame de ce roman est tout sauf linéaire. D’où tout son intérêt. Les suspens ayant toujours pour effet immédiat de susciter la curiosité afin de maintenir l’attention toujours éveillée.
Et là, Marthe a réussi de la plus belle façon.
CRITIQUE DE L’OEUVRE
Du genre littéraire
Belle et Cruelle est un roman. Un roman tellement merveilleux qu’il vient véritablement enrichir en bien le champ romanesque de la République Démocratique du Congo. Du reste, en y regardant de près, tout lecteur attentif et avisé se rend compte qu’il est ici en présence d’une véritable mosaïque. Parce que cet ouvrage est à la fois :
- Un véritable conte de fées du genre La Belle au Bois Dormant, de Charles Perrault, repris plus tard en bande dessiné par Walt DISNEY,
- Un roman d’amour dans la lignée de Tristan et Iseult,
- Un roman policier où l’espionnage qui n’a rien à envier aux prouesses de Sherlock Holmes,
- Un roman de fiction dans le genre de la bande dessinée Tintin l’épisode de On a marché sur la lune, ou du genre Congo 2060 de Marc VEWE.
L’occasion me paraît propice pour décortiquer tout cela.
– Belle et Cruelle, un véritable conte de fées dans la lignée de La Belle au Bois Dormant.
C’est l’actant principal lui-même, le Général Julius Moussassa, qui l’avoue de sa propre bouche. A la page 103, il dit :
Des filles makanaises en général :
Toutes, jolies et belles créatures…
Ah non ! Que dis-je ? Jolies ? Mais non, ces créatures sont plutôt belles, très belles. De quelle race, Bon Dieu ! De véritables déesses que l’on ne retrouve que dans les contes de fées.
Et de Véronika tout particulièrement :
Quel baiser enflammant ! Quelle douceur dans ce corps qui vibre et s’accroche ! Elle n’est pas humaine, cette garce. Elle est tout simplement d’une race divine. Cette femme, il n’y a pas à parier, est une déesse, j’en suis certain. Je n’avais jamais de ma vie sentie ce qu’elle m’a fait sentir. La fraîcheur de la nuit, mêlée au vent qui soufflait du côté du lac, en rajoutait davantage.
Et, à la page 110 :
Véro était là, dans sa belle robe vert émeraude, regard dur… Elle me parut encore plus belle. J’étais prêt à lui offrir mon pardon en échange de son amour…
– Belle et Cruelle, un roman d’amour dans la lignée de Tristan et Iseult.
Comme Tristan, le Général de corps d’armée Julius Mussassa, Rockman est envoyé en mission de service. Une mission très délicate à l’Est de son pays, pour déloger l’ennemi qui y sème la mort et la désolation. Il s’éprend d’une inconnue qu’il qualifie de déesse. Contrairement à l’amour de Tristan pour Iseult, le sien a été un amour interdit. Il se perd dans ses délices lui offertes par cette femme de rêve, selon sa propre expression, et finit par subir le sort qu’il méritait : la mort.
– Belle et Cruelle, un roman policier où l’espionnage n’a rien à envier aux prouesses de Sherlock Holmes.
Sherlock Holmes est un personnage de fiction britannique, créé par Sir Arthur Conan Doyle dans son roman policier Une Etude en Rouge, paru pour la première fois en 1887. A l’époque où le roman policier était en vogue, aucune série n’avait autant de succès que celle qui mettait en scène Sherlock Holmes.
Marthe BULAMATARI s’inscrit dans cette lignée avec son espionne Véronoka, ou Véro pour faire bref. Véronika est autant espiègle que le fameux personnage de Sir Arthur Conan Doyle.
– Belle et Cruelle, un roman futuriste dans le genre de la bande dessinée Tintin avec l’épisode d’On a marché sur la lune, ou du genre Congo 2060, de Marc VEWE,
Hergé, de son vrai nom George Remi, né le 22 mai 1907 en Belgique à Etterbeek, et mort le 3 mars 1983 à Woluwe-Saint Lambert, est un auteur de bande dessinée belge, l’une des bandes dessinées les plus populaires du XX siècle. Parmi ses numéros les plus intéressants, on peut citer en bonne place On a marché sur la Lune. Des années après cette fiction, Neil Armstrong et compairs ont effectivement mis le pied sur la lune. Ce qui était un rêve et relevait de ce fait de l’utopie, est devenu une réalité.
De même, en écrivant son roman, Marthe BULAMATARI poursuit comme objectif principal de faire prendre conscience à ses compatriotes du sommeil léthargique dans lequel ils sont tous tombés face à l’agression-occupation d’une partie importante de leur territoire national par des pays étrangers. Certains, par procuration.
Au finish, elle veut les pousser à se réveiller pour reprendre à l’ennemi la terre de leurs ancêtres que celui-ci cherche à aliéner.
Sur le champ, (sur le coup comme diraient certains), cela peut paraître relever du monde des rêves. Mais l’Auteure a bon espoir qu’un jour plus ou moins lointain cela arrivera. Pour elle, le Congo n’est ni à vendre, ni à distribuer. Et encore moins à occuper.
Vu sous un autre angle, dans son roman Congo 2060, Marc Vewe présente au lecteur une République Démocratique du Congo de tous les rêves. Aucun de nos contemporains ne pourrait croire à la belle image que cet auteur présente de notre pays. Mais il confirme que cela va arriver et que c’est ainsi que la RD Congo sera à cet horizon-là.
Sans aller jusqu’à ces extrêmes, dans son roman en présence, Marthe BULAMATARI affirme qu’avec un peu de bonne volonté, et un minimum de bonne gouvernance, ce Congo nôtre peut devenir meilleur à ce qu’il est aujourd’hui. Et elle y croit fermement.
– Des thèmes exploités
Ici également, j’ai réussi à remplir deux pages entières avec des thèmes que l’Auteure développe dans ce roman.
Dans mes analyses, j’ai coutume de distinguer le thème principal, ou central, des thèmes majeurs et d’autres mineurs.
Dans ce roman, le thème principal, ou central, me paraît être l’agression avec à l’horizon, et en toile de fond, un projet de balkanisation à plus ou moins longue échéance.
Un pays de nulle part et de partout, appelé République Universel de Nzaïdi, R.U.N. en sigle, est pris en étau par l’un de ses voisins appelé à son tour Makana, défini comme étant « le pays des collines que l’on voit de l’autre côté du Lac Kwivo».
Quatre thèmes majeurs se collent au thème principal et ses compairs comme adjuvants pour faciliter leur réalisation. Cela a commencé par la transplantation des populations sur une terre étrangère, bien qu’hospitalière, pour continuer par l’invasion et l’occupation des portions les plus riches de ce territoire, et aboutir à l’exploitation à outrance de ses richesses, tant du sol que du sous-sol.
Vient ensuite une flopée de thèmes mineurs dont la conjonction facilite et concourt à l’atteinte du but visé par l’agresseur.
Il est difficile, sinon fastidieux, de les dénombrer tous dans le cadre de cette étude.
Pour faire œuvre utile, je pourrais en citer au passage et en vrac quelques-uns parmi les plus importants et les plus récurrents. Il s’agit de : la ruse, la sournoiserie, le mensonge, le double langage, la duplicité, la dissimulation, la malignité, la malice qualifié d’intelligence pratique, l’intrigue, l’acculturation, la transplantation des populations sur des terres étrangères, la désacralisation de la fonction de chef coutumier, la confiscation, l’expropriation et l’aliénation des terres. Aliénation même des personnes humaines. Le tout couronné par l’espionnage à grande échelle.
Et on en passe. Mais non des moindres.
Il y a aussi, en très bonne place, l’amour aveugle et la trahison. Particulièrement ceux d’un haut gradé de l’armée de Nzaïdi pour une amante d’une nuit qui, à la fin, se révèle être un agent double du pays agresseur de sa nation.
Mais le thème qui retient le plus l’attention du lecteur, c’est la bêtise humaine. Celle des gens de Nzaidi. Parce que, même en mettant la relation des faits dans la bouche de son grand-père, mais c’est Rockman en personne qui raconte toute cette histoire à l’espionne Véronika, qu’il rencontre pour la toute première fois, s’amourache d’elle, trahit son pays, donne gratuitement la victoire à l’ennemi et connaît la fin qui a été la sienne. Comment s’y est-il pris ? Pourrait-on se demander.
A en croire l’Auteure, Rockman n’est que le prototype de nombre d’autorités nzaïdoises depuis l’époque du Président de cette république, que Marthe appelle « l’homme à la canne et à la toque de léopard », jusqu’à ce jour. Ces autorités s’amourachent et prennent en première ou secondes noces les filles makanaises qui les espionnent proprement et transmettent chaque matin à leur pays d’origines les secrets d’Etat qu’elles obtiennent sans coup férir sur leurs couches la nuit.
– Du style
Tout le monde peut dire ce que tout le monde dit. Mais, en littérature, c’est la façon de dire ce que tout le monde dit qui compte. Et Marthe Bulamatari le dit de la plus belle façon.
Elle a un style simple. Point de mots recherchés. Mais plein de mots qui invitent à la recherche. Comme par exemple : … le grand maître à la longue barbe chenue. (P. 38). Ou : … ceux qui ont remplacé le Blanc utilisent les mêmes méthodes de répression. (P. 39). Et : … les Nations du Monde. (P. 57). Ou encore : … Opération Coquelicot ; le Lac Kwivo. (P.57) ; La seule ambition de celui trône de l’autre côté (des collines que l’on voit là à l’Est) et de ses commanditaires est de faire main basse sur les minerais rares qu’on ne trouve que dans le sous-sol de votre NzaÏdi natal (P. 59). Ou encore et enfin, pour ne pas nous éterniser sur ce qui me paraît être une évidence, cette tirade : … (les) événements de 1994, quand les Kolines-Orientales ont vomi du sang en faisant exploser l’avion de leur Président. (P. 61).
Qui d’entre les lecteurs, faisant un repli sur soi, ne saurait imaginer de qui ou de quoi l’Auteure parle avec ces mots de tous les jours, mais utilisés dans un style limpide et aussi suave ?
Je me refuse quant à moi de faire un dessin. Surtout que, comme par hasard, le pays qui sert de ce champ d’activités macabres s’appelle Nzaïdi-Belge.
CE QUE J’EN PENSE
– Des qualités du texte
L’Auteure de ce roman a une plume alerte et produit des expressions dignes des plus grands écrivains des temps modernes. Les énumérer toutes ici reviendrait pour moi à écrire un autre roman d’autant de pages pour les relever toutes et les commenter les unes après les autres.
Sur chaque page, il y a au moins deux belles expressions à retenir. Ce qui nous fait, au plus bas mot, 218. Voyez le temps que cela prendrait…
Mais, dans le même temps, ce roman m’offre une occasion en or d’illustre ma Théorie des Cinq Dits Littéraires.
– Belle et Cruelle et ses Cinq Dits Littéraires
Effectivement. Si, comme ci-dessus, je continuais à dire tout le bien que je pense de cet ouvrage, on me traitera de fanatique. Aussi me contenterai-je d’inviter chacune et chacun de nous à le pénétrer soi-même, de s’en faire sa propre idée, pour enfin l’apprécier à sa juste valeur.
Quant à moi, et comme dit plus haut, ce roman est tellement riche et multiforme qu’il me permet, ici et maintenant, d’étayer ma théorie des Cinq Dits Littéraires.
Il s’agit de :
Le dit,
Le non-dit,
L’inter-dit,
Le sous-dit, et
Le sur-dit.
– Le dit :
Le dit d’une œuvre littéraire est ce que dit officiellement ce que l’Auteur-e a écrit dans son texte. Lorsque, par exemple, Marthe Bulamatari écrit que Véronika est belle et cruelle, la logique la plus élémentaire voudrait que le lecteur lui fasse confiance et crée dans son imaginaire un personnage dénommé Véronika, qui soit belle, selon ses critères de la beauté féminine, et cruelle, selon le degré qu’il voudra lui accorder.
La plupart du temps, le lecteur commun s’arrête là. A-t-on d’ailleurs le droit de lui demander plus ?
– Le non-dit :
Le non-dit d’une œuvre littéraire, tout comme l’inter-dit, le sous-dit et le sur-dit, est assimilable à ce qu’on a pris l’habitude d’appeler sous-entendu. Mais, dans mon entendement, avec, à des degrés différents, un brin de nuance et de subtilité appelant une profonde réflexion et un sérieux travail intellectuel.
Un précurseur a en son temps désigné tout cela en bloc du nom commun de L’Impense du Discours (cfr. BUAKASA (Tulu Kia Mpansu), L’impensé du Discours, « Kindoki » et Nkisi » en pays Kongo du Zaïre).
Dans l’exemple pris ci-haut, nous admettons tous que Véronika est belle et cruelle. Puisque l’auteure le dit, nous ne pouvons que lui faire confiance et prendre la chose comme telle.
De prime abord, le lecteur ne voit pas en quoi la beauté de cette nymphe est cruelle. Seulement, lorsqu’après lecture, on se rend compte que cette beauté de Véronika a conduit à la mort son amant d’une nuit, la sagesse demande qu’on revienne à l’examen du titre. Et là, le et du titre prend automatiquement valeur de mais. De sorte que, désormais, le titre peut implicitement se lire « Belle mais Cruelle ».
Ce qui introduit ipso facto une notion claire de méfiance et de doute quant à l’amour que l’on serait tenté de porter à une pareille créature.
S’il avait eu la présence d’esprit de réfléchir ainsi, le Général de corps d’armée Julius Moussassa se serait méfié de Véronika dès le départ. Et il serait encore vivant à la fin du roman.
– L’inter-dit :
L’inter-dit d’une œuvre littéraire n’a rien à voir avec l’interdiction.
S’écrivant en deux mots, il fait plutôt référence à ce qui est dit entre deux, trois ou un groupe de mots.
Lorsque, par exemple, une employée écrit à sa cheffe directe qu’elle est malade, sans spécifier ni la nature de la maladie, ni ses conséquences, l’inter-dit veut que l’autre comprenne que, soit celle-là viendra en retard au service, soit qu’elle ne viendra pas du tout.
En pareils cas, l’idée que l’on se fait intérieurement, sans toutefois s’en rendre compte est : Je crois qu’il/ elle est suffisamment intelligent-e pour comprendre.
Dans le cas d’espèce, Marthe Bulamatari écrit, en page 23 : Qui ne connaît pas le Général Julius Mussassa, Rockman pour les intimes, lâcha-t-elle en riant et d’un air amusé.
Réagissant selon le dit littéraire, le Général a une réaction tout à fait épidermique : –Ah ! dit-il, Comme tu es amusante ! Je pressens que toi et moi allons faire un joli couple et que cette amitié que nous venons de sceller perdurera !
C’est là de la pure naïveté…, car, dans son intellect, le Général a pensé qu’il était tellement célèbre que tout le monde devait indubitablement le connaître. Et, sans se douter de rien, il s’est livré corps et âme à cette femme, jusqu’à ce que mort s’en suive.
En réalité, le Général aurait dû dépasser ce niveau, et passer au niveau supérieur, celui de l’inter-dit. Il aurait ainsi pu comprendre que la dame lui disait sous ces lignes qu’il était espionné depuis de longues dates. Autrement, comment expliquer le fait qu’en ouvrant la porte de sa chambre, pourtant fermée à clef, il trouve cette femme confortablement installée chez lui ? Au lieu de cela, il a tout de suite un coup de foudre. Et il se met à vendre les secrets de son pays. Ce qui devait lui arriver est arrivé.
– Le sous-dit :
Le sous-dit littéraire est ce que l’on cache, volontairement ou involontairement, sous ce qu’on a écrit sur papier et que le lecteur peut ou ne pas découvrir. Plusieurs phrases d’un texte littéraire sont en effet comme des valises à double fond. Du genre de celles qu’utilisent les trafiquants des matières précieuses ou les contrebandiers. Devant pareilles phrases, il ne faut jamais s’arrêter à ce que l’on lit. Il faut plutôt les soulever de façon systématique pour découvrir ce qui se cache en-dessous.
On est ici dans le domaine de la confiance. Aussi, toutes les caractéristiques que donne l’auteur du peuple de Makana, montrent qu’il faut toujours prendre chacune de leurs paroles avec des pincettes. Dans le langage commun, l’Auteure appelle cela « double langage ». Et c’est exact. Car c’est cela mon sous-dit littéraire.
Lors donc qu’un Makanais te dit à toi Nzaïdois, qu’il est ton ami, vu ce qui se passe au grand jour entre vos deux pays, il faut comprendre cette phrase comme disant : Je suis ton ennemi intime.
Dans ce roman, le Général en fait le triste constat, malheureusement à ses dépens, lorsqu’il déclare :
Subitement, cet ange s’était transformé en un personnage d’un roman-dramatique. Son visage angélique est devenu dur, l’incarnation de la haine. Elle secrétait maintenant le fiel et l’odeur de la mort. C’était l’ange au glaive que j’avais en face de moi. Une adepte de Lucifer. La jeune femme au sourire câlin s’était mé-ta-mor-pho-sée ! Elle voulait faire couler du sang ; Une femme-vampire. (P. 104).
Mais aussi vers la fin, à la page 109.
Après une nuit d’intense intimité, voici ce que le malheureux Général apprend à nous lecteurs :
Furieuse, la belle tenait toujours mon arme et elle était prête à vider son chargeur sur la tempe de ce bougre que j’étais.
Pourquoi bougre ? Simplement parce qu’il n’a pas eu suffisamment d’intelligence pour se rendre compte à temps que l’amitié de cette dame était une amitié feinte. Elle l’a transporté au septième ciel pour mieux le perdre en le laissant tomber de très haut.
– Le sur-dit :
Le sur-dit littéraire est le niveau le plus élevé de la compréhension d’un ouvrage. Il consiste en fait à dire subtilement, parfois à son insu, plus que ce qu’on couche visiblement sur le papier. Il est l’apanage des esprits avisés, des esprits très élevés. Pour ne pas parler d’initiés. Ce roman-ci nous offre plusieurs occasions de l’illustrer. Pour raison d’économie de temps, nous n’en retenons qu’une seule.
Elle se trouve à la page 12. On peut y lire ceci : Sabina me répétait sans cesse que ma pauvre mère n’avait pas été prise en charge correctement par les sages-femmes. Et ce, juste au moment où, dans les douleurs d’enfantement, je quittais le merveilleux monde dans lequel je baignais dans le sein maternel !
Pour le lecteur commun, ce passage veut tout simplement dire que le nouveau-né était bien dans le sein de sa mère, et regrette juste de l’avoir quitté pour venir sur cette chienne de terre, suivant l’expression même de l’auteure. Mais, en creusant le texte, à la recherche du sur-dit, on découvre que le narrateur nous apprend textuellement que tout fétus connaît très exactement le genre de vie qu’il mène dans le sein de sa mère. Et le narrateur, sinon l’Auteure, en a pleinement conscience. Autrement, comment sait-il qu’il était bien dans le sein de sa mère ?
– Conseils et leçons à tirer
Marthe dit, et c’est vrai, que le Nzaïdois est bon viveur, rêveur, inconscient, jouisseur, naïf, traître de sa propre Nation, indifférent face au sort tragique qui attend son pays. Mais, dans un optimisme qui défie toutes les réalités sur le terrain, elle trouve que tout n’est pas encore perdu.
Aussi invite-t-elle le Nzaïdois à un sursaut d’orgueil, à l’amour patriotique, au réveil, à la révolte et au combat pour la sauvegarde de l’intégrité de son pays. Autrement, il n’aura que ses yeux pour pleurer…
– De l’Identité de l’auteur
Qui a pu nous gratifier d’une aussi grande merveille ?
Comme dit plus haut, ce chef-d’œuvre de littérature est de la plume de Marthe BULAMARI. Dans sa modestie, voici ce qu’elle-même a préféré que l’on sache d’elle : Diplômée en Sciences de Communications Sociales, Marthe BOSUANDOLE Bulamatari est journaliste à l’Agence France-Presse. Passionnée de Littérature, Belle et Cruelle est son troisième roman, après Wishawa, Amour à tout prix (2015), et Prédateurs Masqués(2019).
Un point à la ligne.
Mais c’est mal connaître Marthe Bulamatari que de s’arrêter en si bon chemin.
Deux autres éléments complètent cette présentation sommaire de sa biobibliographie. Il y a d’abord le nom de la Maison d’Edition. Il y a ensuite les différentes descriptions des choses et des personnes.
Le combien importante Maison d’ Editions qui nous livre ce chef-d’œuvre s’appelle Marqueuse du Bon et du Beau, MBB en sigle. L’Auteure qui, au-début, signe son œuvre du nom de Marthe Bulamatari, révèle à la fin qu’elle s’appelle en réalité Marthe Bosuandole Bulamatari, MBB en sigle également. Selon la théorie mathématique qui veut que deux quantités qui sont égales à une troisième soient égales entre elles, MBB Auteure et MBB Maison d’Edition ne sont qu’une seule et même personne. Donc Marthe se définit également comme Marqueuse du Bon et du Bien. C’est une caractéristique qu’il faut ajouter à la brève notice biographique qu’elle nous offre là.
Ça c’est d’un.
De deux : la lecture attentive de la description des choses, des personnes et des événements révèle au lecteur attentif une Ecrivaine de haute culture, très instruite et parfaitement au fait des gens et de tout ce qui se passe autour d’elle, au loin et de près.
– CONCLUSION
Ma conclusion se focalise sur les paratextes, pour faire œuvre deSémioticien.
Il y a d’abord les signifiants et les signifiés de la première page de couverture. Ici, la couleur dominante est le vert. Ce qui est tout à fait normal, puisque nous sommes là à l’orée d’une forêt que les Occidentaux qualifieraient de forêt dense et touffue. Que nous, nous appelons forêt vierge. Et que l’Auteure appelle jungle.
Le titre commence par BELLE, écrit tout en majuscules, en gras et en très gros caractères d’imprimerie. L’Auteure veut que ça frappe la vue et retienne l’attention. La couleur retenue pour cela est le jaune, couleur de l’or, symbole de richesse.
Ensuite vient Cruelle qui est écrit en calligraphie, et en minuscules, à part la première lettre qui apparaît en majuscule par respect aux règles de l’édition. Ici, certainement à la demande de l’Auteure, ou de l’Editeur, ce qui est du même au pareil, l’infographiste a opté pour le blanc, couleur de l’innocence, de la candeur, de la pureté, etc. Mais l’écrit n’est pas franc. Il est imbriqué à des endroits dans BELLE, comme s’il voulait se cacher. C’est signe de dissimulation, d’hypocrisie et de mensonge.
Comme dit plus haut, la lecture complète du romain nous amène à lire le titre de façon différente. La compréhension de l’histoire veut donc que le et du titre ait valeur de mais. Ainsi, le titre devient « BELLE mais Cruelle », et s’assimile à la vérité éternelle qui dit que tout ce qui brille n’est pas de l’or.
Le plus impressionnant ici, c’est la posture dans laquelle la BELLE se présente sur cette première page de couverture : On la voit de dos. Or, quand on parle de beauté, c’est à la figure qu’on pense en premier lieu. Je me suis donc longtemps posé la question de savoir comment, vue de derrière, cette dame pouvait être déclarée belle. La réponse à mon questionnement est venue toute seule. Car le narrateur la décrit à la page 47. Voici comment :
Toutes jolies et belles créatures, (les) filles makanaises donnent l’air d’être sorties du même moule et pétris des mains d’artistes. De véritables sirènes. Jolies, toutes se ressemblent comme des gouttes d’eau ! Dressées sur de longues jambes frêles, elles marchent en se déhanchant, gardant jalousement des postérieurs moulés dans des robes chatoyantes ou dans des jupes qui font des houppelandes ».
(C’est moi qui souligne).
Je me suis alors souvenu du fait que ceux qu’on qualifie « coureurs de jupons », courent après les filles, et non devant. C’est le pont arrière qui les attire. Et, justement, ici Véronika attire le Général derrière elle pour le perdre dans la jungle et le livrer à une mort plus que certaine.
Contrairement aux habitudes éditoriales, le nom de l’Auteur apparaît en bas de la page. Signe qu’elle tient à compter moins que le drame qu’elle conte. Elle s’efface pour que la BELLE occupe toute la place.
La quatrième de couverture parle également. Il y a, dans la partie supérieure, un texte d’une beauté inouïe : Une description déchirante du peuple qui met en mal le peuple nzaïdois.
Vient ensuite une bande verte, flanquée de la photo de l’Auteure. Sur cette bande verte est transcrite la brève notice biobibliographique de l’Ecrivaine.
S’agissant de la photo ! Parlons-en. Elle est plus que provocatrice. Là, Marthe semble poser une double question à ses nombreux lecteurs. La première est : M’avez-vous bien regardée ?
Bien regarder Marthe, ce n’est pas en fonction de la beauté. Car belle, elle l’est. Très belle même. Mais c’est plutôt au regard de l’audace dont elle a fait montre en écrivant ce roman en ce moment de grandes tribulations au pays.
Bien que se trouvant devant une œuvre de fiction, tout esprit avisé sait en effet de qui et de quoi l’Auteure parle. Nzaïdi n’est pas loin de Nzadi. Et, prenant Stanley à témoin, Nzadi n’est pas très éloigné non plus de Zaïre.
Sur l’autre bord, le pays agresseur s’appelle Makana, et est situé sur les collines que l’on voit là à l’Est. Faisant des recoupements, même quelque peu osés, le linguiste n’a aucun mal à rapprocher ce pays de la terre de Canaan, dans la mesure où ses habitants, les Makanais, se réclament de la descendance de Salomon dans ses égarements avec la Reine de Saba.
Ensuite, entre le Makanais et le Nzaïdois, l’Auteure ne fait la part belle à personne : Elle pique l’un et pique l’autre. Sans crainte. D’aucuns auraient peur pour sa vie. Sa photo dit donc : Suis-je de nature à avoir peur de qui que ce soit ?
Elle y répond elle-même :
Pour la libération totale de mon pays, je ne me tairai point.
L’autre question est : Qui dit mieux ?
Un éminent homme politique, devenu célèbre depuis, a déclaré : L’Histoire de ce pays ne s’écrira plus à Bruxelles ou à Washington, mais ici en Afrique, par les propres fils du Continent et du pays.
Marthe BOSUANDOLE Bulamatari, vient de nous livrer là un pan de l’histoire de ce pays. Sa version à elle. A d’autres de lui emboiter le pas, et d’écrire d’autres épisodes, selon leur background, leur sensibilité respective, et toute la connaissance qu’ils et elles en ont.
Munkulu di Deni,
Enseignant, Ecrivain, Critique littéraire, Editeur.