7 juin 2023
19:57

Kinshasa : une bibliothèque pour enfants ouverte à la prison de Makala

Le 07 octobre 2022, l’Association des jeunes Écrivains du Congo (AJECO) a procédé au lancement et à l’installation d’une bibliothèque pour enfants à Makala, la grande prison de Kinshasa, où sont enfermés 500 enfants dont 9 filles. Cette initiative vise, selon la présidente de l’Ajeco, Celena Ngoy, de donner à ces enfants « un espace d’évasion ».

Ci-dessous, le mot de circonstance de Madame Celena Ngoy.

« L’idée d’une Bibliothèque pour enfants en prison m’est venue… ici même en prison. Jeune encadreure d’enfants reporters, je les y avais accompagnés et à l’occasion, j’avais appris que les murs gris et tristes de la prison retenaient également des enfants. J’avais entendu leurs histoires, celles des enfants en conflit avec la loi, mais également celles des enfants en prison parce que partageant le triste sort de leurs parents embastillés, certains y étant même nés.

Cette rencontre bouleversante m’a changée à tout jamais. Trouver des enfants en prison, l’idée avait torturé mon jeune esprit mais au-delà de tout, c’est l’abandon dans lequel je les avais trouvés et laissés qui ne m’a plus quitté l’esprit. Deux projets vont naître de là. Le premier sera purement littéraire, mon roman Mateso, qui raconte l’histoire des enfants dans la rue dont certains finissent en prison, et le second, celui de la Bibliothèque pour enfants en prison qui vise à leur donner un espace d’évasion.

Pour réaliser ce second projet, il a fallu attendre que j’accède en 2020 à la Présidence de l’Association des Jeunes Écrivains du Congo, AJECO en sigle. L’AJECO est une association qui existe depuis 2011 et qui réunit des jeunes écrivains congolais avec l’ambition de promouvoir la littérature et la culture principalement auprès des jeunes et des enfants. C’est dans le cadre de notre association que nous avons lancé cette initiative visant à installer au sein du CPRK une bibliothèque pour enfants.

Ce projet n’a pas été facile à mener. Des appels à dons pour obtenir des livres aux démarches administratives en passant par des moyens financiers pour réaliser le projet, nous avons, à plusieurs reprises, été proches d’abandonner. Mais comment abandonner un tel projet lorsqu’il vous habite ? Comment abandonner un tel projet lorsque ces images d’enfants en prison ressurgissent ? Comment abandonner l’espoir de leur apporter un peu de soleil à travers la grisaille d’un quotidien en prison ? Comment abandonner l’idée d’apporter l’espoir dans de jeunes vies qui du reste sont prometteuses malgré tout ? Comment abandonner l’espoir de contribuer à changer des destins et des vies ? C’est pourquoi, malgré les difficultés, le sentiment d’être certains matins, moi et mon équipe, trop faibles, trop seuls face à une tâche beaucoup plus difficile à accomplir qu’elle ne le paraissait, nous avons ténu, jusqu’à réussir, bien qu’encore imparfaitement, à installer aujourd’hui la « Bibliothèque pour enfants de la Prison de Makala »

C’est ici le moment pour remercier toutes les bonnes volontés qui nous ont accompagnés dans la réalisation de ce projet et sans lesquelles rien n’aurait été fait. Je citerai : l’Académie des Beaux-Arts, l’Institut Français de Kinshasa, le Centre culturel Wallonie-Bruxelles, les Éditions de la Montagne, Yuula Académie, les Éditions Miezi, Laesh, OVK Lawfirm, Mega Congo, Bimpa Production, Les Plumes Conscientes, Bassama Éditions, Femmes des lettres congolaises, Ici&Ailleurs Magazine,… et tant d’autres personnes, structures ou institutions auprès desquelles je m’excuse d’avoir omises de citer.

500 enfants sont en prison dont 9 filles. Ils n’ont pas d’école. Certains savent lire. La majorité est analphabète. Cette Bibliothèque, nous l’avons pensée non seulement comme un lieu de lecture pour ceux qui savent lire, mais également comme un espace d’apprentissage à la lecture et d’initiation aux arts. Ainsi l’AJECO organisera des formations d’alphabétisation et d’initiation à diverses disciplines artistiques. D’ores et déjà, il est prévu des formations en dessin, danse et musique.

Le livre est important. Pour les adultes, et encore plus pour les enfants. C’est presqu’un lieu commun. Mais il est utile de le répéter, parce que dans notre société, il n’a pas encore la place qui lui convient. Pour des enfants physiquement enfermés dans ces bâtiments, il est important de leur rappeler et de nous rappeler que « lire, c’est voyager » comme l’a dit Victor Hugo ; pour ces enfants qui se heurtent à des murs et à des portes fermées, il est important de leur rappeler et de nous rappeler que « la lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté » comme l’a dit François Mauriac ; pour ces enfants qui m’ont dit un jour qu’ils passaient leur temps, faute d’activité, à regarder le soleil se lever et se coucher avant de se retrouver dans le noir de l’ennui, il est important de leur rappeler et de nous rappeler que « les livres restent, avec le feu, la seule façon de combattre les ténèbres » comme l’a dit Matthias Enard ; et enfin, pour ces enfants à qui il est interdit de sortir, et de marcher dans les rues, il est important de leur rappeler et de nous rappeler que « la lecture est la clef de bien des évasions » comme l’a dit Stéphane Féri.

Notre ambition est de libérer l’esprit de ces enfants par la lecture et par la littérature. Parce que la littérature c’est le rêve et une bibliothèque est un livre ouvert sur ces rêves, où l’on peut réinventer le monde et le redessiner le futur. C’est pourquoi, il a été si important pour nous d’installer ici cette bibliothèque, mais surtout voilà pourquoi il est important pour nous que ce projet continue de vivre.

En effet, aujourd’hui n’est pas un aboutissement, aujourd’hui est une rampe de lancement, le premier jour de la vie d’un projet qui ne fait que commencer. D’abord parce que cette bibliothèque doit continuer de vivre, comme l’espace de vie qu’il doit être, il doit continuer à grandir, des livres doivent continuer d’affluer, des activités doivent continuer d’y être organisées. Mais également, d’autres bibliothèques ont besoin d’essaimer à travers les prisons de la République, pour les enfants d’abord et demain sûrement pour les adultes également.

Voilà pourquoi, de même que vous nous avez accompagnés à la naissance de ce magnifique bébé, nous vous demandons de nous accompagner dans sa croissance, nous avons encore besoin de votre soutien et nous sommes sûrs que nous allons l’avoir pour continuer à construire des portes et des fenêtres en prison, pour laisser s’envoler les rêves de ces enfants.

Merci d’être venus et ensemble, poursuivons ! »

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