Retrouvez Ngamalo dans AHATA SUIVI DE NGAMALO, paru aux Editions NZOI, 2021. Contactez Laesh Rdc. Joignez Editions Mienzi sur avenue Sport, croisement Saïo-Sport
Nihil sub sole novum
Ngamalo, femme de caractère ? Indépendante ? Anachronisme ? En tout cas, une femme énigmatique.
Qu’en dites-vous ?
Fait exceptionnel, une première, à l’époque du Congo belge , dans la localité de Kasongo-Lunda, au Kwango, une femme indigène osa demander le divorce parce que son mari avait pris une concubine, s’affichait avec elle, désertait régulièrement le toit conjugal et n’assurait plus comme il se devait la ration à sa famille. Pour la première fois, de mémoire d’homme, dans cette localité, le divorce fut prononcé par le tribunal à la demande d’une épouse, pour un motif que le commun des hommes et des femmes jugeait banal.
Les femmes étaient sidérées par cette folie car pour elles, c’en était une, qu’une femme mariée se révolte et contrarie la coutume. La décision d’un divorce n’était-elle pas l’apanage des anciens au cours d’une palabre, au village, à l’ombre d’un grand arbre, à laquelle s’associaient les esprits des ancêtres dont la sagesse et la sentence s’exprimaient par la bouche des notables vivants ? La femme, ne s’appartenant pas, ne pouvait en aucun cas, décider de son sort.
Un tas de questions sans réponse tourmentaient les esprits, comme par exemple :
« Que deviendra Ngamalo après le divorce ? »
« Comment survivra-t-elle sans mari ? »
« La méconduite d’un mari peut-elle justifier une aussi grave décision ? ».
Aucune d’entre elles et des jeunes filles ne voulait être à la place d’une femme effrontée qui, selon elles, ne pensait pas au sort de ses enfants, une priorité qui devrait justifier la patience d’une mère, l’oubli de soi et motiver à endurer les humiliations et la chosification de sa personne.
À leurs yeux, la méconduite d’un mari était un fait banal et tolérable parce que les hommes sont faits comme ça et la société admet qu’un homme, marié ou pas, ait une ou plusieurs concubines, se permette même d’être polygame ! Une épouse ne devrait donc pas envisager d’abandonner le toit conjugal, d’emballer ses effets et de retourner dans sa famille. Elle ne devrait encore moins prendre les devants et exiger le divorce, sans avoir été répudiée par son mari.
Toutes les femmes éprouvaient de la pitié pour la divorcée qui allait devoir désormais se prendre en charge en tout alors qu’en restant mariée, elle aurait pu continuer à s’appuyer tant soit peu sur son homme. Un mari, quel que soit son comportement, volage ou non, agressif ou non, représente le couvre-chef pour la femme, une sorte de chapeau et de parapluie qui protège contre les ardents rayons de soleil, contre les intempéries et qui permet d’adoucir tant soit peu les aridités de l’existence.
Hors du mariage, la femme n’avait pas de place, à moins de rejoindre les prostituées, ces femmes jadis considérées indignes et comparables à des hors-la-loi, des usurpatrices des maris d’autrui, une menace permanente pour la quiétude des épouses. Il n’existait donc pas de juste milieu entre l’état d’épouse au foyer et celui de la prostituée. Il n’existait pas non plus une catégorie dite de femmes dignes, vivant seules et autonomes.
En général en effet, les femmes-épouses ne se plaignaient guère de leur sort, habituées à travailler beaucoup, voire trop, à être à la fois cultivatrices, vendeuses, ménagères, pourvoyeuses en eau et en bois de chauffe pour leurs ménages. Que leurs filles après l’école, soient assujetties à la corvée d’eau et de bois, s’occupent de la cuisine pendant que les garçons passent leur temps à jouer et à se prélasser en se racontant des balivernes, ne posait aucun problème, c’était dans l’ordre normal des choses. D’ailleurs, pour Ngamalo, c’était pareil. Mais alors, pourquoi, pourquoi demander le divorce pour se retrouver seule et affronter toute seule les aspérités de la vie ?
Les hommes, quant à eux, attablés après les heures de travail autour de la Polar, une marque de bière de l’époque, et du vin de palme, égayés par la musique que distillait le fono encore neuf du bar, évaluaient la possible influence de l’initiative de Ngamalo sur leurs épouses et sur leurs filles dociles et soumises. Pour la première fois, une femme avait osé s’affirmer, une poule venait de chanter devant le coq, mettant en cause le conseil sacro-saint que toutes les filles recevaient de leurs mamans en quittant le toit paternel pour le toit conjugal. Ils redoutaient le début d’une nouvelle ère, l’ouverture d’une dangereuse lucarne qui pourrait mettre en péril la stabilité des foyers.
« Ahah ! Quelle mouche a donc piqué cette Ngamalo ? » se demandaient-ils les uns aux autres, inquiets pour leur futur. Ils entendaient cette Léopoldvilloise parler un lingala différent des autres Léopoldvillois venus travailler à Kasongo-Lunda pour le compte de l’administration coloniale, un lingala semblable à celui des soldats de la Force Publique, reflet d’un caractère indépendant, autoritaire, d’une forte personnalité. Ces caractères masculins ne convenaient pas, selon eux, aux femmes. Tout le monde était au courant à propos de son premier mari, un soldat de la Force Publique et savait que Ngamalo et lui avaient vécu dans une caserne militaire, quelque part chez les Bangala .
La rumeur était fondée et d’ailleurs, Ngamalo profitait de toutes les occasions pour raconter son histoire. Sur les sentiers descendant et montant du marigot, sur ceux, escarpés, menant aux champs, les femmes et les filles étaient toute ouïe. Les grands marchés qui faisaient affluer deux fois par semaine les villageois, hommes, femmes et jeunes des environs de Kasongo-Lunda, chargés des produits vivriers, de boucs, de chèvres et de la volaille ainsi que de feuilles de tabac séchées, étaient une aubaine pour Ngamalo qui leur racontait comment elle avait quitté sa famille et son clan en bateau, à travers les eaux des Bangala menant à Lisala, Chef-lieu de la province de la Mongala au Nord de la République Démocratique du Congo (RDC), pour vivre dans un camp militaire, très, très loin de sa contrée.
La tenue d’un grand marché donnait lieu à une fête bigarrée et offrait aux uns et aux autres l’occasion de vendre et d’acheter soit avec de l’argent, soit en échangeant par le troc, produits contre produits. À ces occasions, les familles de Kasongo-Lunda se constituaient des réserves consistantes en nourriture, les marchands venant d’ailleurs, rentraient chez eux satisfaits, munis d’habits et d’étoffes neufs, de sel, de divers produits manufacturés et d’outils agricoles. Mais ils emportaient aussi les récits de Ngamalo qui les faisaient rêver d’un ailleurs différent et agréable, quoiqu’insaisissable ainsi que l’image d’une femme belle de visage et de corps, aux boucles d’oreilles et bracelets en pawuni et dont les vêtements étaient différents de ceux que portaient les autres femmes de Kasongo-Lunda.
À leurs yeux, l’aspect de ces pagnes huilés, brillants et neufs, aux motifs variés tels que King Georges , bisikiti , 6bougies, meyameya ,etc., distinguait Ngamalo des autres. Aussi, certains d’entre eux se risquaient-ils à lui demander de leur en vendre quelques-uns. Elle refusait parce qu’elle-même les avait achetés à Léopoldville avec le fruit de ses makelemba avant que son mari ne fût muté par son service à Kasongo-Lunda. Elle leur expliquait aussi que ses bijoux et ses pagnes en semi-velours constituaient sa richesse et qu’une femme digne de ce nom se devait d’avoir des économies en nature.
Hé oui !Ngamalo voulait que tout le monde sût qu’elle n’était pas qu’une femme, qu’une épouse, mais qu’elle était aussi la veuve d’un soldat de la Force Publique et qu’elle avait une identité propre, elle, contrairement à toutes ses semblables qui se diluaient dans leur position d’épouses, de mères, un point c’est tout.
Traduction / explication des mots
1) Fono, magnétophone d’antan, qu’on faisait démarrer grâce à une manivelle qu’on tournant.
2) Léopoldvilloise: Habitant de Léopoldville, capitale du Congo belge jusqu’en 1966, rebaptisée Kinshasa.
3) Une des 4 langues nationales de la RDC.
4) L’ensemble des groupes ethniques bordant le fleuve Congo et ses régions limitrophes (consultation Internet Wilpédia).
5) Makelemba : le pluriel de likelemba, ristourne, une variante de la tontine