Entre l’engouement littéraire, le manque d’infrastructures adéquats pour la production des œuvres de qualité ainsi que la problématique d’accès aux livres pour tous et partout en République démocratique du Congo et la question du droit d’auteur, l’écrivain, éditeur et libraire congolais Christian Gombo fait l’autopsie du secteur du livre dans son pays. Dans une interview accordée à mbbactu à l’occasion de la célébration de la journée mondiale du livre et du droit d’auteur, cet acteur littéraire fait part de sa foi en l’avenir du secteur du livre au Congo-Kinshasa.
Mbbactu : Christian Gombo, vous êtes auteur, éditeur, également libraire. Le monde a célébré le 23 avril la journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Quel regard avez-vous sur l’évolution du livre en RDC et la question du droit d’auteur ? Quel est, selon vous, l’état de lieu du secteur.
Christian Gombo (CG) : Mon regard sur l’évolution du livre au pays est positif et plein de satisfaction. Pourquoi ? Actuellement, on vit un engouement littéraire sans précédent, et en quelques années, en quelques mois, le nombre de libraires, d’éditeurs et d’écrivains a considérablement augmenté et les activités, un peu partout, se multiplient pour faire vivre la littérature congolaise. Concernant le droit d’auteur, la réalité est que nous sommes encore sous-développés en ce sens. A l’absence de moyens adéquats, plusieurs éditeurs n’ont ni infrastructures qu’il faut, ni un personnel qualifié pour faire un travail sérieux d’édition. La plupart de livres produits sont autoédites. Néanmoins, il y a quelques maisons d’éditions qui offrent des contrats d’édition à leurs auteurs, je peux citer : Nzoi, Miezi, Mabiki (pour les publications en langues locales). Le plus important est l’engouement qui se vit et qui donne vie à notre littérature. Des mains s’unissent pour la faire parler un peu partout dans le pays et on a toutes les raisons d’être fières car nous faisons partie de ces gens.
La RDC, un grand pays de la littérature, une réserve artistique, avec des grands noms dans l’histoire du livre en Afrique et dans le monde. Et pourtant, l’accès au livre demeure épineux, douloureux et parfois soucieux pour la grande partie du pays. À quoi cela est-il dû ?
CG : Oui, le pays n’a pas à rougir en termes de qualité littéraire, nous avons quand même offert au monde V.Y Mudimbe, Fiston Mwanza, Blaise Ndala, IN Koli Jean Bofane… et les talents littéraires naissent un peu partout dans le pays. L’accès au livre reste compliqué à cause du manque d’infrastructure de diffusion et distribution de livres. A côté de cela, le prix moyen du livre étant cher pour beaucoup de congolais, cela pose encore un problème d’amener les livres dans nos provinces. En effet, de fois certains voyages dans le ventre du Congo coûtent plus cher que le voyage vers Dubaï par exemple. Et les taxes et les coûts de transport élevés font que les livres au pays puissent coûter chers, sans compter les multiples tracasseries qui découragent plus d’un dans la chaîne du livre. Malgré ces difficultés, on ne désespère pas, on se bat. Même s’il nous faut organiser des rencontres, festivals, salons littéraires, … nous ne baisserons pas les bras.
Le livre congolais connaît également le problème du lectorat, un pays d’environ 90 millions de personnes, la vente de livres n’atteint pas 10% de la population. Quelle politique mettre en place pour booster la vente du livre en RDC ?
CG : La seule politique à mettre en place, c’est une politique culturelle. Cette politique manque cruellement au pays. Et comme l’Etat n ‘a souvent pas les moyens de soutenir la littérature, il peut aider en nous octroyant avec des conditions souples des lieux de culture où la littérature congolaise pourrait vivre sans tracasseries. Certains privés riches aussi peuvent investir en faisant venir des outils de production du livre dans le pays. L’Etat ou un particulier peut créer une industrie du papier localement. Car c’est le coût élevé du prix du papier et les frais de transport exorbitant, avec une taxe absurde sur les ouvrages qui font que les livres puissent coûter chers et du coup, cela rend le livre inaccessible. Une fois tous ces problèmes résolus, les livres pourront atteindre une majorité de congolais.
La fabrication du livre sur le plan qualité, que nous propose certains éditeurs aujourd’hui inquiète. Que faire pour remédier à cette situation ?
CG : S’agissant de la fabrication du livre au pays, la réalité est qu’il y a de plus en plus d’éditeurs, ce qui est une bonne chose pour notre littérature. Il faut aussi reconnaître que beaucoup font le travail de l’édition avec les moyens de bord et souvent avec leurs propres capitaux, ce qui est à encourager. Vu l’augmentation du nombre d’éditeurs, un jour viendra où la concurrence dictera sa loi, ceux qui vendront la meilleure qualité en termes de livre objet et fond du livre avec le prix le plus bas domineront le marché. Et cela aura un effet boule de neige parce que les autres pour ne pas être hors-jeu, trouveront aussi les voies et moyens de faire un travail de qualité. Nous ne sommes pas encore là, mais ça viendra.
Entre faible lectorat et absence de plus d’éditeurs de qualité. Quel avenir pour le livre congolais ?
CG : Le livre congolais a un bel avenir, la faute à tous ces passionnés qui s’y donnent sans relâche. A. Camus disait : « On ne saurait souffrir indéfiniment », alors pour reprendre une phrase préférée du poète Hervey Ngoma, « un jour viendra ». Oui, un jour viendra où la littérature congolaise sera sur le toit du monde avec une industrie locale qui favorise l’éclosion de toute la chaîne du livre dans le pays, un jour viendra où la littérature congolaise aura son pesant d’or dans les agendas politiques, un jour viendra où être écrivain, éditeur et libraire sera une fierté nationale. Oui, un jour viendra, nous y croit !
Vous êtes à la fois, auteur et éditeur. Que pensez-vous du respect du « droit d’auteur » en RDC. Les auteurs congolais, jouissent-ils de leurs œuvres ? En parlant plus précisément des auteurs de livres, aujourd’hui, est-il possible pour un écrivain, un auteur congolais de vivre pleinement grâce à ses livres sans penser à un autre métier ?
CG : Vivre de son livre ou des revenus que génèrent les livres est une chose compliquée, pas seulement pour les écrivains du Congo. Et pour le droit d’auteur, l’améliorer dans notre pays signifie agir ou investir directement dans toute la chaîne du livre. Dès que les politiques de production, de distribution, de diffusion du livre seront une réalité en rendant les livres accessibles à la majeure partie de la population, le volume en droit d’auteur suivra. D’où on doit tous travailler main dans la main pour créer un marché local en y proposant des livres de qualité très abordable par le prix et le reste viendra tout seul.
Propos recueillis par Christian Dimanyayi Bende